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Antonin Léonard, yes Oui share !
12 Oct 2016

Exit Uber et Airbnb, vous allez revoir votre opinion sur l'économie collaborative ! Développer toute une société fondée sur le partage, l’échange et la confiance : c'est le défi quotidien que s'est fixé Antonin Léonard. À l'origine du think tank OuiShare, qui organise aujourd'hui des événements réunissant des milliers de personnes, ce nancéien d'origine est devenu un acteur incontournable dans le microcosme de l'innovation parisien.
« Aujourd'hui, je me sens fondamentalement entrepreneur, » annonce d'emblée Antonin Léonard. L'entrée en matière a de quoi surprendre. À vrai dire, on l'imaginait un peu plus fleur bleue, le fondateur du think tank OuiShare. On pensait parler avec passion de l’intérêt du couchsurfing et de l'échange de perceuse avec son voisin. Mais la discussion prend finalement un tour plus ambitieux : après plusieurs années d'existence, le projet d’Antonin est devenu une grosse machine que son fondateur se passionne à faire tourner.
OuiShare, c'est aujourd'hui 37 000 abonnés sur Facebook, des événements capables de rassembler plus de 3 000 personnes à Paris, une présence active à Barcelone et à Rio, et un revenu assuré pour une quinzaine de membres. Ce collectif, qui a officiellement le statut d'association loi 1901, est né en 2012 et s'est donné pour objectif d'analyser, d'accompagner et de développer des projets collaboratifs nés de l'impact du numérique sur nos vies. Il endosse également un rôle d’influenceur auprès des collectivités locales, afin de défendre les projets qu'il soutient auprès des élus.
« Ce qui me motive et qui me fait me lever au quotidien, c'est d'avoir un impact positif sur le monde au sens large, avec une approche à la fois pragmatique et idéologique, c'est-à-dire portée vers l'action mais fondée sur des valeurs fortes, » témoigne Antonin. OuiShare n'a pas de concept figé : son rôle et ses projets évoluent avec l'air du temps. L'association ne rentre pas dans les cases, et c'est ce qui rend sa description difficile. « J'ai toujours vu OuiShare comme un incubateur de personnes et comme un laboratoire des organisations du futur », explique Antonin.
Si OuiShare a fortement contribué à faire émerger les thématiques de l'économie collaborative dans le débat public, l'association étend aussi sa réflexion aux changements politiques et sociétaux induits par l'essor du digital. Antonin appelle cela, « la partie prospective » de OuiShare. À quoi ressembleront nos villes une fois connectées ? Quelles transformations toucheront l'organisation du monde du travail ? Que peut apporter internet à la démocratie ?
D'une école de commerce au couchsurfing brésilien

À l'origine de ce projet, on trouve donc ce jeune homme de 29 ans, originaire de Nancy. Antonin s'est toujours intéressé au monde de l'entreprise, malgré des parents tous deux fonctionnaires et une famille qui ne compte que très peu d'entrepreneurs. « Je me suis dirigé vers une école de commerce, au grand dam de mon père. Pour lui, c'était le truc horrible, le démon. Il m'a dit : “Tu feras un emprunt et tu te débrouilleras.” ». Très vite, lui qui s'est donc battu pour intégrer l'EM Lyon est déçu par l'ambiance “fils à papa“ et le manque d'engagement des élèves de sa nouvelle école. « En troisième année je me retrouve à aller dans l'association commerce équitable... Parce que j'avais envie de donner du sens ! » Il gardera malgré tout de cette école le goût pour l'entrepreneuriat : car même si OuiShare est une association et non une entreprise, il lui a fallu une bonne dose d'audace et un investissement de tous les jours pour la lancer, au même titre que tout patron de start-up.
Pendant ses études, Antonin part plusieurs fois en échange, au Pérou, en Argentine, à Rio et enfin à Barcelone. Tour à tour, il travaille pour une société d'audit (et trouve ça horrible), voyage en couchsurfing au Brésil, et fait trois mois de théâtre en Espagne (où il est presque sélectionné pour jouer dans un long métrage). « À ce moment là je me suis dit : le vie ne tient vraiment pas à grand chose. Tu fais juste des choix, qui t'emmènent dans une direction plutôt qu'une autre. »
En 2010, alors qu'il est au Brésil, Antonin ouvre un blog appelé Conso collaborative, où il écrit des articles sur le thème de l'économie collaborative. À la fois une veille et un début d'analyse sur le sujet. Au bout de deux ans, d'autres rédacteurs le rejoignent. Le blog est toujours très actif aujourd'hui, et compte même la MAIF - la société d'assurance - comme partenaire officiel. « Aujourd'hui, Conso collaborative c’est un média grand public, et OuiShare c'est le média d'analyse », résume-t-il.

Grâce à ce premier blog et aux réseaux sociaux, Antonin rencontre des personnes qui s'intéressent aussi au sujet. Il commence à organiser des événements, à ouvrir un groupe Facebook... « La communauté commençait à exister. On était en train de créer une culture commune. » Une centaine de personnes gravitent alors déjà autour du projet. En janvier 2012, Antonin propose le nom de OuiShare. « C'est là que le projet est vraiment né. On ne savait pas encore ce que ça allait être. On a simplement commencé à co-créer ensemble un projet commun. »
Chez OuiShare, les décisions sont prises collectivement et chacun contribue à sa manière. L'association compte aujourd'hui 80 connectors, chargé d'animer la communauté à travers le monde. Même si Antonin a bénéficié d'une grosse exposition médiatique – il a par exemple été invité à discuter avec l'économiste et écrivain Jacques Attali pour Madame Figaro – il est loin d'avoir imposé un modèle hiérarchique. « Les médias veulent une figure, pas plusieurs personnes », résume l’intéressé. « Mais aujourd'hui il y a plein de leader chez OuiShare. »
Un rendez-vous annuel : le OuiShare Fest
Parmi les faits d'arme de l'association : le OuiShare Fest, qui en est à sa quatrième édition. En mai 2016, cet événement a réuni 3500 personnes sous le chapiteau du Cabaret Sauvage à Paris, pour un budget total de 450.000 euros (tout de même !). Les trois premiers jours étaient réservés aux acteurs ayant payé leur billet, le quatrième était ouvert au public.
L'objectif du OuiShare Fest, c'est d'abord la mise en relation des personnes intéressées par les thématiques du partage. L'événement comprenait une mini-librairie, avec par exemple des livres sur la permaculture ou « le pouvoir de la pédale » (comprendre : du vélo). Sur scène, des intervenants et experts débattaient de leurs expériences respectives. À l'extérieur, des ateliers de réflexion collective étaient organisés dans des conteneurs vitrés, à grand renfort de paperboard et de post-it. Parmi les thèmes abordés : le futur du travail, de l'éducation, de la démocratie...
De nombreux stands accueillaient également des projets innovants, comme HOP (contre l’obsolescence programmée), Stagiaires sans frontières (pour réaliser un stage à moitié en entreprise, à moitié au sein d'une association), Voxe (un comparateur de programmes politiques), Incroyables comestibles (pour la mise à disposition gratuite de potagers en pleine ville)... Le tout au sein d'un événement (quasi-)zero waste ! Le concept plaît… et s'exporte. Un OuiShare Fest aura lieu à Barcelone en octobre, et à Rio de Janeiro en novembre. L'association envisage également d'en organiser un à Montréal en 2017.
Reprendre le pouvoir sur notre quotidien
« Pour les médias, l'économie collaborative c'est devenu Airbnb et Uber. Mais ce n'est qu'une facette, » explique Antonin. « Et cette facette m'intéresse beaucoup moins que tous les gens qui ont un vrai impact sur notre capacité à reprendre le pouvoir sur notre vie au quotidien. » OuiShare a ainsi publié un livre, Société collaborative (janvier 2016, édition Rue de l'échiquier), écrit par 9 membres de l'association afin de poser les bases théoriques de cette société collaborative qu'ils envisagent pour le futur. Un monde dans lequel chaque citoyen retrouve une prise directe sur ce qui l'entoure.
OuiShare organise également des incubateurs de communautés, comme par exemple lors de la Conférence sur le climat qui s'est tenue à Paris en décembre 2015, avec le programme nommé Poc21 : pendant cinq semaines, des entrepreneurs se sont réunis pour donner un coup d'accélérateur à leur projet. Parmi eux, « il y avait par exemple une douche open source, » détaille Antonin. « Ainsi les gens du monde entier peuvent en partager les plans et améliorer le projet qui était conçu au départ. »
Paris, ville idéale pour innover
Les bureaux de OuiShare sont installés dans un espace de co-working (of course) : après avoir élu domicile dans des locaux de près de 500 mètres carrés dans le 19ème arrondissement parisien, l'association organise actuellement son déménagement vers un nouveau lieu, près de Bastille. Et le choix de la capitale française n'est pas fortuit : « Paris est une ville incroyablement excitante. Il y a un écosystème en création et en ébullition qui est à mon sens unique au monde, » souligne Antonin. « Il y a une conjonction de facteurs qui fait que l'innovation à Paris, ce n'est pas l'innovation dans d'autres villes. » Selon une étude du cabinet d'audit anglais PwC datant de début septembre, la France arrive première en Europe (ex-aequo avec le Royaume-Uni) dans la création de start-up liées à l'économie collaborative.
Son avenir, Antonin ne le voit pas sans OuiShare. « C'est pour la vie ! », lance-t-il dans un sourire. Encourager la prise de risque, c'est un peu son crédo. Et on le comprend : ça lui a plutôt bien réussi. « Quand je me suis lancé, j'étais très naïf, mais j'avais lu beaucoup de choses sur l'entrepreneuriat qui disaient : “Lancez-vous quand vous êtes jeunes, c'est ce qui fait que vous créerez des choses improbables.” Je pense que OuiShare en est une belle illustration : c'est un truc improbable. Ça n'aurait jamais été possible sans toute la naïveté qu'on avait au début. »




