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Farid El Kanz, ses coups de crayons vont le faire entrer dans la lumière
22 Jun 2016

Farid El Kanz est un conteur d’histoires. Ses souvenirs d’enfance, les anecdotes du bar du Normandy Hôtel, dans le 1er arrondissement de Paris, la naissance de sa première collection Haute Couture, Farid a choisi de les raconter, non pas avec des mots posés sur du papier. Mais par le dessin.
Il attend au bar du Mandarin Oriental. Rue Saint-Honoré. 1er arrondissement. Décor de luxe un brin clinquant et très moderne où son ami, le chef cuisiner Thierry Marx, officie. Costume-cravate, droit comme un « i », assis sur l’un des fauteuils en cuir noir, Farid El Kanz est prêt à recevoir. À raconter son histoire. Une première pour cet homme de 36 ans. Un peu intimidé, quoique toujours très à l’aise, il a déjà vécu plusieurs vies. Alors qu’hier il accueillait encore, avec son sourire légendaire, les clients du restaurant Mûre, situé à deux pas de chez lui, dans le 2ème arrondissement de Paris, Farid El Kanz a aujourd’hui enfilé un autre costume, celui qui lui sied depuis tout petit : créateur de la rue.
Paris, une valise sous le bras et 500 euros en poche
Né dans la région de Bordeaux, Farid El Kanz parle de son enfance comme d’une époque merveilleuse. « On était cinq garçons - on est plus que trois - et deux sœurs », dit-il avec pudeur. Il ajoute, dans la continuité, qu’il préfère ne pas en parler. La douleur est encore trop présente. « À peine une année que le dernier nous a quittés. »
Déjà tout petit, alors que les gamins du coin jouent plutôt au football, Farid dessine des silhouettes. Une passion comme une autre dit-il, qu’il a apprise en autodidacte, en observant les femmes. En primaire, sa professeur lui demande même s’il « ne se prend pas pour Picasso », se souvient-il en riant. À l’école, il faut le dire, Farid « n’est pas une lumière ». « J’étais un vrai cancre ! », sourit-il.
À l’âge de 20 ans, son père le met dehors. Il faut devenir un adulte ! Farid débarque alors à Paris, une valise sous le bras et 500 francs en poche. « Je voulais travailler et prouver à mes parents que je pouvais être indépendant », se souvient-il. Grâce à un ami, le jeune homme trouve un pied-à-terre dans la capitale. Deux mois plus tard, il débute dans une boulangerie Paul et emménage dans son premier appartement, à Montparnasse. Farid se délocalise ensuite dans le 94 et entre par la petite porte dans l’univers du prêt-à-porter. D'abord en tant que vendeur, puis conseiller en image dans les Grands Magasins parisiens. Ce métier, un mélange entre styliste et psychologue, est on ne peut plus humain, selon lui : « Si tu n’aimes pas les gens et si tu n’es pas à leur écoute, ce n’est pas un travail pour toi ».
La galère, puis le défilé éphémère
Après neuf ans dans le prêt-à-porter de luxe, Farid poursuit son parcours dans la restauration et l’hôtellerie. Trois lieux vont alors sceller son destin. Celui qu’il est en mesure d’accomplir aujourd’hui. Aux 2 Vaches d’abord, le resto lancé par Danone dans le quartier Grands-Boulevards. « C’est là que l’aventure bio a commencé à Paris », précise Farid. Il y rencontre des amis précieux. Ceux qui, depuis, ne cessent de le suivre, de l’encourager et de le soutenir dans son art : dessiner et sculpter des robes.
Cette passion, Farid a commencé à l’envisager comme une réalité professionnelle il y a seulement trois ans et demi. « J’ai galéré comme jamais. Je n'avais pas de travail, pas d'argent... Je n'ai pas honte de le dire mais c'était quand même les Restos du Cœur, Emmaüs et le Secours Populaire... Une sacrée période qui m'a finalement rendu service : je me suis dis qu’il fallait que je fasse quelque chose de mes dessins ! », raconte-t-il.
Le trentenaire décide alors de ne plus écouter ceux qui lui disent qu’il n’a pas la formation, les contacts, ou l'argent pour réussir dans cet univers. Celui de la Haute Couture. Il trouve un boulot de barman au Normandy Hôtel, dans le 1er arrondissement. « Mes pourboires m’ont payé mon premier événement », raconte-t-il. Mais Farid n’a pas suffisamment de moyens pour envisager de faire fabriquer ses robes. Il décide alors d’organiser, avec l’aide de ses nouveaux amis - des clients réguliers du bar - un « défilé éphémère » : « Des personnes portaient mes tableaux et défilaient avec », explique-t-il. « Le show s'est terminé sur une exposition. » Une seule pièce se tient au centre de tout. Une robe magnifique, bien réelle et baptisée La Normandy. Fier, il la montre sur l'écran de son téléphone. « Elle est faite de punaises, de clous de sièges, d’un tissu de soi et de dentelle », détaille son créateur. L'oeuvre, inspirée de Marie-Antoinette, porte le nom de l’hôtel, un lieu très symbolique. « L’hôtel m’a offert la salle et la moitié des boissons », explique Farid. Le rabbin du 1er arrondissement, Tony Codet, un multimillionnaire californien, gonfle l’enveloppe d’une centaine d’euros et achète un tableau signé Farid El Kanz. « C’est ma plus belle rencontre », confie le jeune créateur, avant de citer, entre autres, Cabu, le réalisateur Bertrand Tavergnier, Michel Gaillard (Le Canard Enchaîné) ou encore l’héritière Pascaline de France. Des personnalités qui croient en son talent. « C’était assez incroyable, ils ne me connaissaient pas et m’ont traité comme un membre de leur famille ».
Après un an et demi derrière le bar de cet hôtel mythique - « Il existe depuis 1877, les plus grands hommes ont foulé ce lieu ! » - le barman a besoin de souffler. L’un de ses frères vient de décéder. Farid a besoin de prendre du temps pour lui, de changer d'univers et de se retrouver.
Une collection "Haute Couture"
Changement de décor. Le barman quitte les petites tables rondes, dressées d’une nappe blanche, le mobilier en bois vernis et la moquette du bar du Normandy pour enfiler un tablier dans le restaurant de son ami Arnaud Dalibot : Mûre, la cantine aux allures de ferme contemporaine. Le soir, lorsqu'il rentre chez lui après une longue journée en salle, Farid donne vie à de nouvelles pièces. Il prend son temps, économise, et crée au fil du temps sa toute première collection. Celle qui sera enfin mises en valeur par des mannequins, lors d'un prochain défilé.
Sur les croquis qu'il a apportés, ses robes portent les noms de ses amis. Arnaud, Lovisa, Ibrahim, Khalilou ou Bakary ont leur hommage. « Mûre a été l’une de mes plus belles expériences », reconnaît Farid. Là-bas, le manager dirigeait une équipe de jeunes venant du monde entier. Ce restaurant, c'est un peu sa « Tour de Babel », nous confiait-il d'ailleurs quelques semaines plus tôt, avant le rush de la pause déjeuner. « Je n’ai pas fait que mon travail, j’ai aimé des personnalités », ajoute-t-il, plein de bienveillance à l'égard de ses anciens collègues.

Après 10 mois de service, Farid quitte Mûre pour se concentrer sur sa collection, baptisée Haute Couture. Un nom chargé de symbole pour cet artiste qui revient de loin. Le défilé est prévu pour novembre 2016 et sera tout en « soie, cristal, tulle transparente et broderie en or ». Un côté brillant qui « rappelle [ses] origines marocaines ».
Et, alors que ses projets se concrétisent, cet autodidacte ne souhaite finalement que peu de choses : garder son indépendance d'artiste, et poser - enfin - sa valise dans un atelier. Il aimerait bien un pied-à-terre au détroit de Gibraltar, un « petit paradis » d'où ses parents sont originaires. À Paris, il se verrait bien dans le 1er arrondissement. Son « quartier de cœur », celui qu'il connaît sur le bout des doigts. Entre le Mandarin Oriental et Le Normandy, où il a choisi de se faire photographier, Farid s'arrête en effet à chaque enseigne. Il salue les commerçants, partage une anecdote personnelle ou historique. Il y a plus de quinze ans, Farid El Kanz ne connaissait qu'une seule personne dans la ville lumière. Aujourd'hui, c'est lui qui brille. Par son talent, sa gentillesse, sa sincérité et son honnêteté.
Happy Bonus : une parisienne heureuse, imaginée par Farid El Kanz pour Happy Project




